IB : En 2014 vous avez gagné le concours pour la conception architecturale d’une université écoresponsable dans le désert marocain, énergétiquement(**) et visuellement intégrée dans le paysage naturel. Puis un village écologique en Russie, inspiré par la position groupée des manchots sur la banquise, permettant de gagner plusieurs degrés grâce à la position et l'orientation des maisons. Vous parlez aujourd'hui de ville régénérative, qu'est-ce que c'est ? 

Anthony Bechu : En 2050, 80% de la population mondiale vivra en ville : il faut repenser la ville pour qu'elle puisse grandir organiquement et naturellement, absorber cet afflux prévisible d'habitants en leur offrant un cadre de vie épanouissant ; il faut reconnecter l'humain à l'environnement, remettre le monde paysan au milieu de la cité, dans le cadre de liens économiques équilibrés. L'idée est de créer des "villes mixtes" dans la ville, comme une juxtaposition de villages où tout est imbriqué, logements, espaces naturels, bureaux, services et commerces. Cela passe par augmenter la densité en montant en verticalité, de manière à libérer l'espace au sol et réintroduire de vrais espaces cultivés pour faciliter les circuits courts, et pour aider les villes à mieux "respirer" en devenant plus adaptables aux conséquences du changement climatique.  

IB : La recherche et développement font partie du quotidien d'une agence d'architecture, et vous vous appuyez sur les techniques du design paramétrique et par une approche du design biophilique, qu'est-ce que c'est ?

Anthony Bechu : La recherche et développement sont une pratique quotidienne qui se nourrit de notre expérience et de la variété des projets sur lesquels on intervient et qui nous permet d'optimiser les échanges et les partages d'expériences. Aujourd'hui, l'architecte ne travaille plus uniquement avec sa main mais en 4D : le design paramétrique permet d'ajouter des paramètres de terrain, de climat et de météo à un dessin pour répondre aux objectifs structurels, énergétiques que l'on se fixe. La biophilie, c'est aimer le vivant, s'inspirer du vivant, mettre du vivant dans son intérieur par des couleurs, des formes ou l'apport de nature : cela nous permet de rester connectés au vivant et d'en ressentir un réel bien-être puisque que nous en faisons partie, la biophilie nous permet de reconnecter nos sens à la nature.

IB : Par son vécu sur quatre générations, le mot "transmettre" a une résonance particulière pour votre agence. Directeur de l'Ecole des Beaux Arts américaine de Fontainebleau, vous avez ouvert à l’international une université d'été qui réunit l'architecture et la musique. Associer la musique et l'architecture est plutôt inhabituel pour le profane ?

Anthony Bechu : L'Ecole des Beaux Arts américaine a été créée au début du XXe siècle sous l'impulsion du gouvernement des États-Unis en la personne du Général Pershing afin promouvoir les échanges culturels avec la France. Aidé notamment par le financement de la fondation Rockfeller, l'objectif initial était de redonner goût à la vie aux soldats américains qui avaient vécu des expériences traumatisantes lors de combats en les reconnectant à leur sensibilité au travers de l'art. Deux composantes d'enseignement sont restées, la musique et l'architecture au sein d'une université d'été pour faire travailler les étudiants de chaque discipline sur des thématiques communes. Un architecte est un chef d'orchestre qui doit trouver les meilleures compétences à mettre en musique pour réaliser un projet. Une composition musicale, c'est de l'architecture. 

Aliénor Bechu, Clémence Bechu et Anthony Bechu

(*) biomimétisme : démarche scientifique formalisée par Jeanine Benyus en 1998, consistant à s'inspirer des couleurs et des morphologies de la nature.
(**) bâtiment passif à 80%

Photos © AAAB

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jeudi 23 janvier 2020, 05:55